Homélies du Temps de l'Avent

Année liturgique A

Année liturgique B

Année liturgique C

1er dimanche de l’Avent C 1er décembre 2024
Entre les signes évoqués par Jésus à propos de son retour à la fin des temps et les perspectives radieuses de Jérémie, le contraste est assez saisissant. Le point commun, c’est la fragilité de notre monde présent et les épreuves constantes dont il est rempli, qui nous font soupirer après la Rédemption qui approche et se dérobe, la justice et le droit jamais assurés à Jérusalem et dans le reste du monde. Sommes-nous plus comblés que les croyants de l’Ancien Testament ? Oui, sans doute, parce que nous savons que le Christ est déjà venu illuminer notre terre. C’est si vrai que Noël, c’est l’an zéro qui sépare le temps : avant et après la naissance de Jésus, Fils de Dieu. Mais à part quelques glorieuses exceptions, qui n’en ont d’ailleurs en général pas besoin, nous ne Le voyons pas. Et, à l’inverse, la plupart de nos autres désirs sont matériels, visibles, tangibles et terriblement concrets ! Alors, que constatons-nous autour de nous ? De plus en plus de gens profondément frustrés, insatisfaits, râleurs et mécontents, s’épuisant en une quête infinie de babioles et de poursuite du vent, jamais comblés même dans la plus confortable des vies. Ne serait-ce pas précisément parce qu’ils vivent un éparpillement de l’âme, qui confond les moyens avec la fin ou se trompe carrément de but, plus ou moins consciemment et volontairement ?

L’Avent nous remet chaque année dans la juste attitude, rectifie nos désirs, les purifie et les unifie. Nous sommes tellement habitués de savoir que le Christ est venu, et peut-être un peu secrètement déçus de voir que ça n’a apparemment pas changé grand’chose depuis 2000 ans ! Alors, pour nous rajeunir, commençons par nous mettre dans la peau des prophètes et des justes d’avant le Christ. Malgré toute leur foi, ils ont eu peine, eux aussi, à imaginer que Dieu se dérangerait un jour en personne pour leur rendre visite. Tellement de peine « qu’Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reçu » comme dit S. Jean dans le prologue de son évangile ; ça fait partie des mœurs de Dieu de voyager incognito ou presque, ne se dévoilant que dans la plus stricte intimité et à ceux seulement qui ont la patience de l’apprivoiser et qui veulent bien Le reconnaître autrement qu’ils L’avaient imaginé. Avec sa venue, l’histoire est terminée : le chrétien ne peut plus regarder devant lui dans l’attente de l’inconnu. Le monde est déjà entré dans son dernier âge, jour de salut et de repos, Royaume de Dieu au milieu de nous. Que resterait-il donc à attendre, puisque la Rédemption est accomplie, le monde est déjà jugé, et tout nous a été donné dans la Personne du Fils Bien-Aimé ? Notre espérance ne se situe plus dans le temps : elle est dans la fin du temps, au-delà du temps, toute tendue vers le jour où notre Seigneur viendra avec tous les saints. Et si nous sommes souvent déçus, c’est qu’une bonne part de nos désirs est encore terriblement terrestre… Le Christ est demeuré avec nous, mais nous ne sommes encore que bien partiellement avec Lui. Faut-il alors pour autant jeter sur ce monde un regard de mépris et de dépréciation ? Non, c’est exactement le contraire ! Il faut plutôt y voir tout ce qui est en lui signe de ce qui seul demeure, ce qui va dans le sens de l’amour de plus en plus intense et débordant, ce qui nous laisse légers, détachés, disponibles et apaisés. Car enfin, quel est le meilleur repas ? Celui où l’on sort de table l’estomac chargé et le cerveau embrumé, la digestion pénible pour un jour ou deux, tout juste capable de s’effondrer sur un canapé pour une interminable sieste, ou celui qui nous aura juste rassasié avec délicatesse, plutôt un peu moins qu’un peu trop, à la suite duquel on est tout de suite capable dans la paix d’affronter toute tâche essentielle qui réalisera un peu plus notre être profond ? Si l’on croit que l’univers créé peut combler vraiment nos attentes, que signifie encore le mot espérance ? Et si on a pas compris cela maintenant, ce qui rend profondément heureux et paisible, si on est pas content de ce qu’on a, plus que de ce qu’on a pas, en s’allégeant sans cesse du superflu envahissant, on est pas mûr pour la vie éternelle. Car on est mûr pour la vie éternelle quand on a plus envie de partir, parce qu’on a compris que l’essentiel est déjà là et que l’achèvement viendra quand Dieu voudra, comme un fruit mûr : comme disait joliment un ami de Dieu : « Je suis pressé d’arriver, mais pas pressé de partir. »

Dieu veuille nous enseigner cette sagesse fondamentale, jusqu’à ce qu’Il soit dignement enfanté dans nos cœurs.

1er dimanche de l’Avent C 28 novembre 2021
La plupart des verbes de l’évangile et de la première lecture sont au futur : un avenir nous est ouvert, des événements sont annoncés, un progrès est proposé. Ce qui nous fait prendre à nouveau conscience d’une donnée fondamentale de notre vie : le temps. Avec l’espace, il est un conditionnement incontournable de notre être créé. Nous ne pouvons y échapper, nous sommes dedans, il peut nous être favorable ou au contraire pesant. En tant qu’êtres conscients, il nous appartient d’en faire bon usage, de le traiter en ami plutôt qu’en ennemi. L’être humain, en effet, est seul qui est conscient de l’écoulement du temps, avec une seule certitude au bout : il aboutit à cet événement mystérieux qu’on nomme la mort. Un animal ne sait pas qu’il va mourir ; il peut sentir le danger, percevoir le caractère pénible ou agréable de moments qu’il vit, mais il ne sait pas que sa vie un jour cessera. Et qui plus est, ce caractère provisoire d’une vie qui nous est seulement prêtée ici-bas, il concerne aussi le monde dans lequel nous sommes placés. Ce monde finira lui aussi. Ce qui pose une autre question : et après ? Dès l’aube de l’humanité, la créature humaine a eu le pressentiment très fort d’un « après ». L’immortalité de l’âme traverse toutes les cultures.

Tout cela nous est en quelque sorte remis devant les yeux en ce début d’année, nouveau commencement, comme une perspective qui nous fait vivre la vie présente en vue de l’éternité. La manière dont nous concevons le temps peut nous aider à faire de notre vie un noviciat d’éternité. Pour les civilisations anciennes, la marche du temps était considérée comme une disposition arbitraire des pouvoirs célestes et cosmiques : il y avait des temps propices et des temps néfastes, des temps de salut et des temps de destruction. Alors, l’homme impuissant devant cet arbitraire divin tentait de se réfugier, par la magie, par exemple, dans des cycles sacralisés dont il se rendait participant et où il espérait trouver une certaine stabilité. Le temps biblique, au contraire, est tout entier rempli de Dieu : c’est Lui qui conduit son peuple à travers heurs et malheurs, et Il ne lui refuse jamais sa grâce et son pardon, même quand Il le punit. Les exils et destructions successives de Jérusalem n’ont rien changé à cette certitude, que Jésus reprend à son compte, quand Il annonce qu’un jour, il ne restera pas pierre sur pierre de ce Temple qui faisait l’orgueil des croyants. Le discours eschatologique d’aujourd’hui fait suite à cette prophétie. Mais ce qu’Il prédit n’est pas d’abord la fin du monde, car tout le monde en est plus ou moins conscient. Sous une forme un peu symbolique, il décrit le désordre qui est au cœur de l’histoire, à cause de la cupidité et de l’irresponsabilité indécrottable de la race humaine. Ce que nous vivons en ce moment n’en est-il pas l’actualisation tragique, à un degré encore jamais atteint ? Pourtant Jésus ne parle pas pour nous culpabiliser ou nous faire peur : Il nous invite à relever la tête et à croire que ces signes sont des signes de rédemption, de salut. Que nous réserve l’avenir ? Sans doute, on se dit que ce n’est pas le meilleur qui nous attend, mais ça fait longtemps qu’on le dit. Pourtant le meilleur n’est pas ce qu’on croit : ce n’est pas seulement un monde confortable où il fait bon vivre, où tout roule sans effort, où il n’y a aucun conflit. Le meilleur, c’est la part d’humanité déjà transformée par la présence invisible du Fils de l’Homme, qui permet ainsi de transfigurer même des situations intolérables humainement, et c’est aussi le sens des dernières recommandations qu’Il nous fait. Oui, si on se laisse aller, on s’alourdit dans la débauche, l’ivrognerie et les soucis de la vie, on compense par des ersatz qui ne comblent pas les manques et les frustrations, par définition. Et les dégâts collatéraux engendrent souvent des situations sociales catastrophiques qui sont parfois irréversibles, pour les jeunes et les enfants notamment. Si au contraire, on s’efforce de miser sur Dieu et son amour, de lever sans cesse les yeux vers Lui, Il nous donne une paix qui n’est pas de la terre, Il sème la confiance et la joie. L’entrée du Verbe de Dieu par la petite porte de Bethléem a mis en route cette action humanisante continuée depuis par ses disciples. En ce temps de l’Avent, nous sommes dans cette douce lumière qui perce la nuit du monde, nous célébrons la Présence du Fils de l’Homme au cœur du temps et de l’histoire. Si bien que ce temps commence un avenir radieux qui fait échec même à notre péché. Faisons tout pour L’accueillir à nouveau avec ferveur pour qu’Il nous aide à remplir de Lui le temps qu’Il nous donne en attendant l’éternité.

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1er dimanche de l'Avent C 2 décembre 2018
C’est tout à la fin de l’évangile que le Sauveur Jésus parle de sa venue. Autrement dit, Il prépare ses disciples à son départ de ce monde et à ce qui suivra pour eux. Ce qu’Il dit nous concerne donc au premier degré, nous qui sommes dans ce temps qui suit sa mort et sa résurrection et précède son retour dans la gloire. Une oreille superficielle risque de ne retenir de l’évangile que des images de catastrophes et de perspectives effrayantes. On me racontait ces jours la réaction significative d’une jeune collégienne tombée malade inexplicablement, refusant de se rendre à l’école sous des prétextes visiblement légers. On avait prévu de montrer au élèves le film « Demain » qui propose une alternative crédible aux pronostics très sombres de l’écologie si on ne réagit pas. Mais la seule évocation d’un demain que toutes les informations décrivent comme catastrophique avait réussi à lui faire refuser jusque dans son corps d’envisager la perspective. Terrible emprise des médias qui ne matraquent pratiquement que du négatif, poussant jusqu’au suicide de pauvres jeunes incapables d’imaginer un autre avenir.

     Alors, c’est vrai : il n’y a que deux attitudes possibles. Ou bien, mourir de peur dans la crainte des malheurs arrivant sur le monde (comme quoi, ça ne date pas d’hier) ; ou bien, écouter les consignes d’espérance qui nous sont données par Jésus en personne, presque comme un testament, en 6 points : 1. Redressez-vous : on peut regarder le monde par le petit bout de la lorgnette ou par le grand, voir systématiquement ce qui ne va pas et ce qui manque, ou au contraire s’entraîner à voir d’abord ce qui est beau et ce qui nous porte, c’est affaire de choix. Nous avons une dignité, ne la laissons pas entamer. 2. Relevez la tête. Si le ciel n’est pas à l’horizon, on attrape tôt ou tard le mal de mer. Ce qui s’agite sur la terre a peut-être moins d’importance que ce qui est solide dans le ciel. 3. Tenez-vous sur vos gardes. Ne pas laisser notre cœur, notre âme et notre intelligence ingurgiter n’importe quoi, sinon on risque la crise de foi. Ne garder que ce qui nous nourrit vraiment. 4. Que votre cœur ne s’alourdisse pas dans la débauche et les soucis de la vie. Même si la débauche ne nous concerne pas, les soucis entretenus en boucle peuvent avoir à peu près le même effet ! Il n’y a plus que ce qui nous tire vers le bas. 5. Restez éveillés. Notre vie est un choix constant entre ce qui est de Dieu et ce qui ne l’est pas. Il n’y a pas de neutralité possible, et ce choix est de chaque instant. Pascal disait : « Le Christ est en agonie jusqu’à la fin du monde. Il s’agit de ne pas dormir durant ce temps-là. » 6. Priez. Tout cela n’est pas possible par nos pauvres forces. Nous ne pouvons que le demander à Dieu, à tout instant. Nous savons dans la foi que le monde a un avenir, qui aboutit à la vie éternelle. Ce qui veut dire que nous avons à accepter que tout passe, y compris moi-même ! L’expérience des siècles montre que dans toutes les situations où tout semblait détruit, perdu, ébranlé, l’aventure humaine jaillit comme un chant d’espérance, parce que Dieu seul demeure, Il est le Vivant pour toujours. Ceux qui pensent trouver en eux-mêmes seulement la force de ne pas tomber ne peuvent que sombrer dans la déprime et le désespoir. Il y a en l’homme plus que l’homme, et ce monde éphémère et caduc a été touché par Dieu en son Verbe incarné. C’est pourquoi Il doit revenir pour nous montrer la totalité de son plan, qui ne peut être limité à l’époque qui est la nôtre, comme à aucune autre époque.

Voilà exactement le sens de l’Avent : non pas d’abord l’attente de la naissance du Sauveur à Bethléem, il y a bien longtemps, mais le début de ce que ce Sauveur est venu accomplir par sa mort et sa résurrection. C’est le sens de toute l’histoire des hommes et de notre histoire personnelle, car Dieu est la vie. Même au sein des jours les plus courts de l’année, la lumière existe, et elle ne peut que grandir si nous l’accueillons en nos cœurs, comme les cierges de la couronne de l’Avent.

2ème dimanche de l’Avent C  8 décembre 2024
C’est bien une sorte de commencement absolu qui est signifié au début de l’évangile de St Luc : ce n’est ni l’empereur de Rome, ni Hérode, ni les grands prêtres de son temps qui sont la mesure de cet événement qui en annonce un autre : la venue de Dieu en personne dans l’histoire des hommes. Ainsi donc, le monde n’est pas livré à une sorte de destin aveugle et imprévisible, mais il continue de sortir de la main créatrice de Dieu qui ne se résout jamais à l’abandonner à son triste sort, même quand il lui tourne le dos. 

La prédication du Baptiste est en général prise au premier degré, comme un appel au redressement moral : « Vous avez fait n’importe quoi, vous n’avez pas voulu de Dieu, il faut que ça change, vous ne pouvez pas le recevoir comme ça, sinon ça va mal se passer ! » Tant il est vrai que le plus souvent, les hommes sont plus sensibles au bâton qu’à la carotte. Et c’est vrai que mystérieusement, la bonté inusable de Dieu émeut assez peu la pauvre humanité, sinon pour la rassurer en pensant que, puisqu’Il est bon, ça finira bien par s’arranger, indépendamment de ses dispositions. A terme, il n’est pas si rare que ça n’induise pas une sourde culpabilité : abuser de la miséricorde en s’imaginant que ça n’a pas de conséquences relève d’une mentalité d’adolescent irresponsable, et ça se paie quand on grandit.

Une route dans le désert : un luxe qui n’existe pas concrètement. Au plus des pistes tout juste carrossables pour les chameaux. Chez nous, il y a des routes partout, asphaltées, balisées, entretenues au cordeau. C’est comme le reste : une sur-communication qui ne rapproche pas toujours les hommes entre eux. Mais de tous temps, on a entrepris des voyages, affrontant des conditions d’une dureté qu’on a peine à imaginer aujourd’hui pour des buts pas seulement économiques, mais culturels, humains ou religieux. S’approprier l’espace en prenant le temps fait partie de la condition humaine, non seulement par esprit de domination, mais parce que la vie est d’abord une aventure intérieure qui profite de tout ce qui peut enrichir notre véritable humanité. 

Nous sommes de tous temps, mais spécialement en notre temps, soumis à deux tentations récurrentes qui peuvent biaiser nos meilleures aspirations : ou bien nous éparpiller, nous perdre et nous noyer  dans la jouissance de la création, au point d’en devenir esclaves et d’oublier notre Bien souverain qui est Dieu ; sentiers innombrables de traverse qui nous offrent d’incessantes occasions de distraction et de petites satisfactions sitôt décevantes; ou bien espérer se perdre en Dieu qui nous fera oublier la noirceur du monde, dans une union de type fusionnel en courcircuitant la création ou la réduisant en esclavage à notre profit immédiat : c’est l’autoroute du New-Age, qui paraît large et commode mais qui ne conduit nulle part. Je ne sais plus quel auteur spirituel disait : « Quand l’homme veut rejoindre Dieu, il se bricole des passerelles et ce sont les idoles ;  quand Dieu veut rejoindre l’homme, Il construit un pont et c’est l’Incarnation. » C’est Lui qui décide de venir à notre rencontre et Il franchit les collines, escalade les montagnes, comme le bien-aimé du Cantique des Cantiques qui brave les continents pour rejoindre son aimée. Si nous avons quelques travaux de terrassement et de génie civil à prévoir, Il nous a donc précédé sur le chantier, Il est le maître d’œuvre qui ne se contente pas d’être l’inspecteur des travaux finis. St Paul nous dit quelle peut être notre tâche dans cette collaboration : Il a commencé le travail et nous avons l’assurance qu’Il le poursuivra jusqu’au jour du Christ. Il nous donne la connaissance vraie qui nous permet de discerner ce qui est le plus important, pour ne pas nous égarer dans les détails inutiles ; Il assure nos pas pour que nous ne trébuchions pas. Il nous invite par le prophète à nous tenir debout, en regardant vers l’Orient -c’est-à-dire à ne pas perdre le Nord dans la confusion du monde. Ce n’est pas vers l’obscurité qu’il faut tourner nos regards, mais vers la lumière qui vient de Lui. Dans les personnes et les événements, il y a toujours un côté ensoleillé à découvrir, à révéler à ceux qui désespèrent parce qu’ils sont en bout de ligne et qu’il y a trop souvent des pannes d’électricité. Que le Sauveur qui vient nous guide sur les chemins qu’Il nous trace pour que nous arrivions à l’heure là où Il se révèle.

2ème dimanche de l’Avent C 5 décembre 2021
Une voix dans le désert : comment s’en souvient-on encore aujourd’hui ? Mais comme quelqu’un avait écrit sur un billet de banque : « On ne peut pas arrêter les idées. » Ce que Jean proclame vient de Dieu, c’est Lui qui parle, en fait, et son précurseur n’est qu’une bouche qui articule ses paroles. C’est absolument dérisoire face au puissant exorde de l’évangile de St Luc : les grands de ce monde n’ont pas à tenir compte de ce prophète hirsute qui pourtant ébranlera la cour d’Hérode. Rien que par sa parole, puissante elle aussi, mais dans un autre sens : non pas puissance qui écrase et domine, mais force qui relève et oriente. La parole de Jean marque moins le commencement de l’évangile que la fin des préparatifs. Tout est dit désormais pour que puisse advenir le Verbe en personne, la Parole substantielle, Dieu en action parmi les hommes. Face à Lui, toute autre parole pâlit. La vocation de Jean est présentée comme un carrefour de l’histoire des hommes : à l’universalité du monde figurée par César, empereur de toute la terre, comme il le prétendait, est offert le salut que Dieu apporte à toute chair. Le passage d’une universalité terrestre à toute chair, dans l’espace et dans le temps, se fait par la parole de conversion prêchée par Jean. Le contraste est fort entre les grands de ce monde, tous éphémères même au faîte de leur puissance, et l’action de Dieu dans les cœurs qui L’accueillent et qui font la véritable histoire, celle qui dure jusque dans l’éternité. Après avoir dressé le cadre de l’histoire universelle, c’est pour dire qu’à l’intérieur de ce cadre, dans l’histoire telle qu’elle est à ce moment-là, commence dans le désert, loin des hommes, l’événement décisif pour la vie du monde. Voilà donc le choix qui s’offre à nous comme aux contemporains de Jésus : déjà ici et maintenant, nous avons à choisir entre la terre et le ciel. D’une certaine manière, n’est-ce pas ce choix que nos sociétés ont fait depuis la crise du covid ? On mise tout sur la santé du corps, on prétend éliminer la maladie et la mort même, et si elle arrive, quand même, car on ne peut pas mentir jusqu’au bout, on la cache comme un accident regrettable, en prétendant qu’il ne se reproduira plus dans un système de pensée dont elle ne fait pas partie. Dieu nous a donné la vie comme un cadeau précieux, à préserver le mieux possible, certes, mais pas sans la perspective qui dépasse le bien-être et le confort, ce rétrécissement qui fabrique la déprime et rend insupportable tout ce qui s’y oppose. Avec ou sans vaccin, c’est la vie éternelle ou rien. Et justement, le salut annoncé a une caractéristique essentielle : il est doté d’un dynamique qui atteint le monde entier, qui concerne tout homme et tout l’homme, y compris dans sa dimension immortelle. Tout le contraire d’un rétrécissement. C’est une spécialité de St Luc de souligner cet horizon élargi : dès l’annonce aux bergers, c’est la paix aux hommes qui est proclamée ; au Temple, Syméon voit le salut préparé à la face de tous les peuples ; et sa généalogie nous rappelle que jésus est fils d’Adam, autrement dit le Sauveur de l’humanité entière. Dans l’énumération des personnalités du début, il mêle juifs et païens, autorités politiques étrangères et chefs religieux juifs, comme pour demander aux lecteurs de saisir le nouveau peuple de Dieu dans toutes ses dimensions. Ce qui n’est pas seulement affaire d’extension géographique, mais de recréation globale par le salut qui en est la source.

C’est à l’accueil de ce que Dieu veut et propose que sert la préparation de Jean et le signe de l’eau qui l’accompagne. Il y a en effet fort à faire pour que la voie soit libre dans nos cœurs afin que Dieu puisse y arriver sans encombre, pour que puisse s’opérer la rencontre. N’y accède que celui qui a fait tout le chemin possible de son côté ; mais en même temps l’action de sauver n’appartient qu’à Dieu, c’est un cadeau gratuit et immérité, sans commune mesure avec les efforts consentis et les bonnes dispositions élaborées pour l’accueillir. Dieu nous donne tout, mais Il ne fait pas à notre place ce qui nous revient. Il y a donc un équilibre subtil entre le primat de l’action divine -la grâce est toujours gratuite, et nous peinons souvent à concevoir à quel point- et la nécessité de la réponse humaine. On est toujours un peu coincés entre le pélagianisme (c’est l’effort de l’homme qui mérite la grâce) et le quiétisme (Dieu fait tout, donc je n’ai rien à faire). Le geste d’humilité du baptême de Jean est du genre « signe de bonne volonté », sur lequel se greffera l’action propre de Dieu. Dieu nous honore en comptant sur notre pauvre effort, qui déjà vient de Lui. Parole, rencontre, événement, conscience : à travers eux passe l’initiative qui vient de Dieu. Non un système, une idéologie produite par l’homme, mais une référence à plus grand que soi qui seule peut sauver ce qui était perdu.

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2ème dimanche de l’Avent C 9 décembre 2018
En un exorde très solennel, St Luc commence son évangile en situant dans l’histoire cette incroyable aventure du Fils de Dieu en personne qui vient des cieux poser ses pieds sur notre petite terre. Il énumère tout ce qui compte ici-bas, à commencer par le maître du monde, l’empereur Tibère, représenté en Palestine par un procurateur de piètre catégorie, dont on retiendra le nom dans le Credo, à cause d’un épisode plus célèbre que lui. Puis les quatre princes fantoches qui se partagent un pouvoir de pacotille, mis en place par les romains pour mieux tenir en main ce pays remuant, et, comble du comble, les deux grands-prêtres, parce qu’un seul, ce serait trop simple et trop limpide. Mais ces trois puissances, qui sont le comble de la division, s’entendront bien, trente ans plus tard, pour faire mourir Jésus. En somme, la corruption politique et religieuse à son sommet de comédie et de prétention, l’image parfaite de la décadence qui jette le soupçon sur toute autorité ici-bas, un peu comme aujourd’hui où plus personne ne croit vraiment que le pouvoir en place soit réellement au service du bien public. Mais au fond, à quelques glorieuses exceptions près, n’en est-il pas toujours ainsi ? Cela ne fait que mettre en valeur par contraste un personnage comme Jean, marginal s’il en est, qui pourtant draine les foules par sa rusticité et ses paroles sans concessions, qui lui coûteront la tête, à lui aussi, parce que la vérité a un prix, plus fort que la mort même. Voilà campé le décor, tout autre qu’idéal, dans lequel le Verbe se fait chair. On pourrait presque dire que Dieu s’ingénie à choisir le pire pour se manifester. C’est dom Chapman, un bénédictin anglais ami de Newman, qui disait : « Quand tout va mal, c’est signe que pour Dieu, tout va bien. »

Dans ce drame du monde livré au péché, nous ne sommes pas neutres. On ne peut se contenter de compter les points et d’attendre que les grands se convertissent, et qu’enfin, un pouvoir politique irréprochable se mette à ne faire que du bien désintéressé, et même que l’Eglise ne soit composée que de gens immaculés, et qu’il suffise de suivre sans faire d’effort. Ce que Jean prêche, ce n’est pas d’abord aux grands de ce monde qu’il le fait. La seule fois qu’il osera le faire, ça ne lui réussira guère. Les gens auxquels il s’adresse, ce sont de pauvres gens qui n’ont rien à perdre et tout à espérer, parce que le gros de la population de tous les temps, ce sont ces gens-là. Et que leur dit-il ? Il les convie à un travail de bulldozer : aplanir des routes, combler des ravins, abaisser des montagnes et des collines… Jésus dira Lui aussi : « Si vous aviez la foi comme un grain de moutarde, vous diriez à cette montagne… » Il semble qu’ils ont tous deux une prédilection pour les travaux d’utilité publique, puisque ceux qui sont aux commandes ne les intéressent pas ? Et en ce temps-là, ces travaux-là ne se faisaient pas en appuyant sur une manette et des boutons, mais à la sueur du front et des muscles. Le baptême de conversion, simple signe de bonne volonté, c’est le début d’une entreprise autrement pharaonique qui est la remontée intérieure de notre pauvre nature humaine éreintée par des millénaires de péché, de négligence, de trahison et de mensonge. Quand on pense à la peine que nous avons de changer des habitudes parfois infimes qui nous collent à la peau, on se trouve bel et bien dans ce registre des choses impossibles à vues humaines, ce que Jacques Rivière, ami de Péguy, appelle les « dérangements énormes » des petites aises bien installées et souvent farouchement défendues qui sont la trame ordinaire de nos vies ! Tout ce qui nous fait dire, au fond, cette parole qui fleurit à foison sur les lèvres des ados : « J’ai pas envie… » St Paul nous invite à un tri, dont le motif est l’amour de Dieu, qui nous fait progresser dans la connaissance de ce qui est important et ce qui ne l’est pas. Un critère toujours de saison qui nous garde de tomber dans ce que quelqu’un appelait le sens suraigü de l’inessentiel. Pour que Jérusalem puisse quitter sa robe de tristesse et de misère, il y a en chacun de nous des montagnes d’égoïsme, des collines de paresse, des ravins d’injustice, des passages tortueux de mensonge à raser et à combler. Si nous n’avons pas de bulldozer à disposition, commençons à la cuillère, Dieu ne nous laissera pas trimer jusqu’au bout, car Il vient en personne, et c’est cela, le salut de Dieu.

3ème Avent C 15 décembre 2024
Il nous est sans doute assez difficile de voir Dieu danser pour nous avec des cris de joie, selon les paroles de Sophonie. Pourtant l’horizon qu’il dénonce est sombre : les chefs du peuple sont corrompus, ils se permettent n’importe quoi sur le dos des pauvres gens, et s’ils ne se convertissent pas, Dieu sera obligé d’intervenir. Mais son action n’est pas la destruction, c’est le relèvement. C’est pourquoi, fondamentalement, nous sommes toujours invités à la joie qui est celle de Dieu. 

Car Il est toujours dans une joie inaltérable, et c’est cette joie que nous sommes invités à rejoindre quand nous avons la tentation, au vu des difficultés présentes, de laisser nos mains défaillir. Qui de nous n’a fait, un jour ou l’autre, l’expérience de la paix qui vient de Lui, quand on a le simple courage de s’arrêter et de lever les yeux vers Lui en déposant un instant le fardeau devant Lui ? « Le Seigneur est en toi » dit le prophète, et nous l’oublions trop souvent, en restant focalisés sur les douleurs de la terre. Quand nous décidons de prier, alors que nous pensons qu’il y a tant de choses urgentes à faire avant de gaspiller un moment gratuitement pour Lui, quand nous avons ce simple courage de Lui donner cette petite chose si précieuse en effet et si simple qui est notre temps, nous faisons sa joie et son allégresse. Et c’est un vrai retournement de sentiment : au lieu de rechercher une joie qui nous fuit comme du sable entre les doigts, parce que nous ne la cherchons pas au bon endroit, nous la trouvons en nous donnant à Celui qui est la joie parfaite, infinie, inaltérable. Ne Le privons pas trop souvent de cette joie qu’Il a à nous rencontrer ! La prière est un échange de joie qui vient du ciel. 

Les trois catégories de pénitents qui s’adressent à Jean sont invités à faire une expérience semblable, de façon très concrète dans leur vie de tous les jours. Les conseils qu’il leur donne sont à la mesure de chacun et ont un trait commun : ils concernent les biens terrestres, l’argent et les possessions. Comme nous sommes marqués par le manque métaphysique, nous avons une tendance spontanée et invétérée à accumuler, à grapiller, bien plus que nécessaire. Nous compensons le manque d’être intérieur par les avoirs extérieurs. Ce pourrait être un baromètre de vie spirituelle, qui est l’indice qui nous est rappelé par la première béatitude : le pauvre en esprit est celui qui n’a besoin de rien – disons, presque rien, comme les amoureux capables de vivre d’amour et d’eau fraîche, comme on dit : ils sont tellement comblés qu’ils ne pensent pas à manger. « Contentez-vous… n’exigez rien de plus… partagez… » Les verbes employés pour ces consignes sont assez explicites : la vraie joie est à ce prix. 

Elle est aussi une attente ardente : on pourrait dire une attente à rebondissements. Car il n’y a pas de joie totalement achevée et assurée en ce monde. Le peuple pensait que Jean était le Messie. Mais non, il faudra encore attendre ! Cette longue patience purifie nos désirs trop immédiats, elle dilate le cœur aux dimensions de l’Esprit. Et lorsque le Messie sera là, et qu’Il commencera à prêcher, faire des miracles, rencontrer tous ces gens en attente de quelque chose, ça durera des années, au terme desquelles Il sera crucifié. Quelques-uns comprendront, et il faudra encore attendre quelques jours, puis quelques semaines jusqu’à la Pentecôte. Les joies alternent avec les épreuves, mais ne peut-on pas dire que finalement, savoir que Dieu est toujours là, qu’Il se réjouit de nous rencontrer, qu’Il fait tout ce qu’Il peut pour que sa joie soit en nous, c’est ce qui nous tient en patience, en endurance et en sécurité. Il ne cesse de nous dire avec l’Apôtre : « Ne soyez inquiets de rien, dans l’action de grâce, priez et suppliez ; et la paix de Dieu, qui dépasse tout ce qu’on peut imaginer, gardera votre cœur et votre intelligence dans le Christ Jésus. » C’est le genre d’encouragement qu’il nous faut spécialement prendre au sérieux en ces temps troublés, pour que beaucoup soient apaisés par ceux qui croient et qui espèrent, en attendant le jour béni où Il sera tout en tous.

3ème Avent C 12 décembre 2021
Pousse des cris de joie…réjouis-toi… tressaille d’allégresse ! Facile à dire, vous ne trouvez pas ? Pourtant Sophonie écrit à une époque aussi sombre que la nôtre, et son langage est très souvent sévère, face aux cultes des faux dieux, aux modes indécentes, aux ministres corrompus. Il a du péché une notion profonde, ce péché qui est une atteinte personnelle au Dieu vivant. Pourtant, un reste subsiste qui ne suit pas le gros de la troupe et reste fidèle dans le silence et l’humilité. Grâce à eux, Dieu est là, vraiment, et son Jour resplendira infailliblement : c’est la cause de cette joie, au-delà des apparences décevantes et des épreuves du moment. Nous, lorsque nous pensons joie, nous voyons festivités et banquets, mets délicats et vins raffinés ; le menu de St Jean Baptiste est plus spartiate, visiblement. Lorsque nous espérons nous réjouir, nous allons à un spectacle qui nous divertisse et nous fasse rire : Jean, lui, n’a qu’un mot à la bouche : « Repentez-vous ! » Ah bon, c’est ça, sa bonne nouvelle ? Si nous nous imaginons en tenue de gala, lui se contente de poils de chameau - ça gratte, si vous saviez !- et une courroie de cuir, pas vraiment le comble de l’élégance ! Et malgré tout ça, les foules lui courent après, lui demandent conseil, même Hérode qu’il ne ménageait pas aimait l’écouter ! Comment ça se fait ? Peut-être déjà simplement que la plupart comprenaient qu’il disait la vérité, même si elle n’est pas toujours agréable à entendre. Et ils voyaient qu’il était profondément heureux, parce que totalement libre. Il n’a pas de tourment intérieur à concilier ses intérêts avec sa mission : il n’a pas d’intérêt, tout simplement. Et donc, il n’y a pas de place en lui pour une quelconque frustration. Ce qui nous pose la question de savoir ce qu’est le vrai bonheur, la vraie joie. Pas seulement le plaisir passager, le sentiment du bien-être qu’on trouve dans le divertissement ; car ce genre d’activité ne dure pas, et après, bonjour, tristesse ! Plus nous nous engageons dans le superficiel, dans l’évasion, la fantaisie, plus nous éloignons de la signification profonde de notre existence. St Jean a le regard assez purifié pour reconnaître tout de suite Celui qui vient baptiser dans l’Esprit-Saint et le feu. Lorsqu’on regarde avec les yeux de Dieu, toute la réalité est différente : on voit à la fois la beauté et le péché. La conversion nécessaire n’est pas un obstacle à la joie, c’est ce qui empêche de se croire trop vite arrivé. Car le but n’est pas la satisfaction tranquille d’un accomplissement personnel, comme on le fait croire aujourd’hui : toutes les techniques de développement personnel, en étant son propre centre de gravité, la seule réalité autour de laquelle le monde tourne. La vraie joie, c’est celle d’un cœur contrit et d’une existence partagée, c’est de reconnaître ce besoin du cœur de l’homme de s’effacer devant Dieu et de trouver ainsi un amour plus grand que soi. Même un soldat ou un collecteur d’impôt peut faire honnêtement ce qui lui est demandé, sans forcément changer de profession. Se convertir, ça ne veut pas dire forcément changer de place, trouver en dehors de soi des conditions plus favorables à la vertu ; c’est changer d’attitude, c’est regarder par le bon bout de la lunette depuis là où on est, c’est tirer le meilleur parti de ce qu’on a entre les mains, c’est accepter avec le sourire sa pauvreté, en sachant que quand elle est acceptée non comme une fatalité pesante, mais comme une opportunité, elle attire la grâce de Dieu. Et de fait, nous venons à la Messe avec nos préoccupations, nos meurtrissures, nos murmures intérieurs et nos critiques. Nous avons toute la semaine lutté et eu des moments de succès ou d’échec. Chacun a ses convictions, ses recettes miracles qui ne marchent pas, ses espoirs déçus et ses surprises qui agacent. On avance ainsi, cahin caha, en se demandant comment ça finira quand on sera vieux. Et pourtant, quand on veut bien se donner encore un peu de peine, quand on ne calcule pas trop ce qu’on donne, une certaine joie est au rendez-vous. On dépose tout ça en bouquet au pied de la croix et Dieu fait le tri, ou plutôt Il se sert de tout, vraiment de tout, pour que ça serve au salut de tous, parce qu’Il a voulu que ça se passe comme ça. Il y a bien le tri entre le grain et la paille, mais la paille, quand elle brûle, dégage de la lumière et de la chaleur. Il est très puissant, Celui que Jean annonce ! Si nous nous en remettons à Lui sans réserve, Il fera ce que nous sommes incapables de faire, et c’est ce qui sera notre joie. Jean l’avait bien compris, lui qui disait qu’il faut qu’Il grandisse et que nous nous fassions tout petits. Alors, nous serons au niveau de la crèche et de plain-pied avec l’Enfant qui nous sourira et nous prendra par la main comme ses frères.

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3ème de l’Avent C 16 décembre 2018
« Pousse des cris de joie, tressaille d’allégresse, soyez toujours dans la joie… » On serait d’emblée tenté de dire : « Pfff, facile à dire !... » Si beaucoup de gens « s’éclatent », notamment en fin de semaine, par définition, il ne reste souvent ensuite que des morceaux. Piètre antidote à une société passablement morose au total, à laquelle on ne sait quelle pilule de joie administrer qui soit tant soit peu efficace. Cette joie à laquelle Dieu nous invite en ce dimanche rose est-elle réaliste et plausible ? Oui, répond l’évangile de ce jour, dans un réalisme très concret, mais à 3 conditions. Et c’est Jean-Baptiste, qui apparaît précisément comme un rabat-joie aux observateurs un peu pressés, qui nous les énumère. Avant de nous pencher sur ses recettes, écoutons la seconde partie de son sermon. Le peuple était en attente, est-il précisé, ce qui veut dire que les consignes morales ne lui suffisent pas. Et il leur parle de Celui qui doit venir et qui est plus puissant que lui. Il ne se contentera pas de leur donner un signe de conversion, de les encourager dans leur désir de correspondre aux dons de Dieu : Il les remplira de l’Esprit même de Dieu, voilà sa promesse. Le monde est un mélange douloureux de bien et de mal, mais il marche vers une clarification radicale, vers un jugement qui le nettoiera de tout mal. Pour le moment, il y a le bon grain, que nous ne voyons pas assez, parce qu’il est sous la bale qui ne vaut rien. Ah non, ce n’est pas pour ce gâchis, cette saleté que j’ai créé le monde, dit Dieu, et ça ne durera pas éternellement ! Mais au lieu d’attendre passivement que Dieu fasse le tri sur l’aire à vanner, nous pouvons déjà commencer à notre mesure. Nous nous scandalisons à juste titre parce que certains sont gavés pendant que d’autre meurent de faim ? Fort bien : que puis-je faire pour qu’un pauvre, aujourd’hui, ait à manger et pas seulement du pain, mais de l’amitié ? Il y en a qui ont des privilèges dûs à leur métier, leur fonction, leur travail même. Mais «noblesse oblige » et je puis me demander comment j’utilise le petit pouvoir qui est le mien –car tout le monde en a au moins un peu, même au monastère- pour le service d’autrui, non comme un faire-valoir et une volonté de puissance méprisante. Il y a de multiples formes de violence, verbale notamment, auxquelles on ne prête que rarement attention et qui laissent des blessures durables chez ceux qui en sont victimes. Or un disciple du Christ se doit d’être un doux, même s’il n’est pas faible. C’est même le contraire qui est vrai : la douceur vient du don de force, parmi les dons du St Esprit ! Accepterons-nous de nous poser régulièrement la question : « Et nous, que devons-nous faire, et moi, que dois-je faire ? » Et si, sans doute, malgré toute bonne volonté, on voit bien qu’on y arrive pas, ou très peu ou seulement de temps en temps, là, nous ne pouvons que mendier la grâce de Celui qui baptise dans l’Esprit Saint et le feu. Ce feu vient pour purifier jusqu’à nos meilleures intentions, l’Esprit est un vent de tempête qui chasse tout ce qui ne pèse pas lourd dans notre vie. La joie, c’est de voir que Dieu est vainqueur de toute lourdeur et impossibilité humaines. La vraie joie chrétienne est une tristesse surmontée par le Haut, sans gémir sans cesse sur ce qui est laid, ce qui ne va pas, ce qui s’oppose à notre plaisir immédiat qui nous tient souvent lieu de joie, mais en étant sûr que Dieu nous invite déjà à voir clair, à séparer la paille et le grain. Les 3 réponses de Jean concernent les relations sociales habituelles. Elles n’imposent pas de changer de métier, de sortir du monde, d’être un pur. Ce que chaque métier nous impose de faire, on peut le faire plus ou moins bien, et tout est dans la manière. St Nicolas de Flüe a été soldat et magistrat, époux et papa avant d’être ermite. Et il était déjà saint dans l’accomplissement des devoirs d’état successifs par lesquels Dieu l’a fait passer. Au fond l’essentiel est de mettre en premier l’autre, et cet Autre, c’est d’abord Dieu. Il est la source inépuisable de notre joie, et l’action de grâces dont parle l’Apôtre est l’habitude la meilleure pour la reconnaître. N’oublions jamais de dire merci à Dieu pour tant de grâces, petites ou grandes qu’Il sème au long de nos journées, et aussi dans la nuit.

4ème  Avent C 22 décembre 2024
C’est en quelque sorte une Visitation en mode mineur que la liturgie nous propose aujourd’hui en ce temps de l’Avent, à quelques jours de Noël. L’évangile s’arrête avant le grand flamboiement du Magnificat, se contentant de l’émerveillement d’Elisabeth sous l’action de l’Esprit-Saint, ce qui n’est pas rien, déjà, on s’en doute bien. La jeune Marie, jeune épouse en espérance, a donc fait le déplacement pour venir en aide à cette parente âgée. Mais elle qui est au courant des choses de Dieu, Elle ne se contente pas d’un acte de charité et de dévouement : Elle en voit toutes les intentions dans le plan de Dieu. Car il y a dans nos actions les plus banales, surtout si elles sont déjà motivées par un amour vrai, des raisons qui nous échappent à travers lesquelles Dieu, patiemment et sans discontinuer, tisse son plan sur l’humanité. Et cette inspiration secrète et pure fleurit parfois sans crier gare au dehors, nous laissant béats d’admiration et de reconnaissance pour ce qu’Il fait et que nous peinons à voir au premier degré. Que la Vierge très bonne nous donne ce regard contemplatif qui nous permet de ne laisser perdre aucune miette ainsi tombée du ciel.

Marie est donc, auprès de sa cousine, messagère, porteuse de Dieu, tout comme Elisabeth est porteuse du premier messager de Dieu, Jean-Baptiste, le plus grand des prophètes, parce que le plus proche du Messie attendu. Quand nous avons l’idée saugrenue de faire quelque chose de bien, vraiment bien, seulement bien, où irons-nous chercher la source de ce bien, sinon en Dieu qui est Souverain Bien ? Cette idée, elle commence par la Présence de Dieu au plus profond de nous, à la racine de nos désirs et de nos pensées les plus intimes et les plus vraies. Il faut que Lui grandisse et que nous acceptions d’être diminués, ce qui est assez exactement le mouvement inverse de celui qui nous est devenu naturel après le premier péché. Comme la Vierge très Sainte qui sait qu’Elle n’est rien et qu’Elle reçoit tout, nous pouvons essayer avec Elle de tout donner de ce que nous avons reçu, sans rien garder, dans une pauvreté consentie, une chasteté paisible, une obéissance qui est la clef de voûte de ce don total. Et ne croyons pas trop vite que c’est chose réservée aux religieux, moines et moniales : il y a des pères et mères de famille qui savent mieux que nous donner la vie à des enfants et les donner au monde sans rien s’en réserver, dans une abnégation obscure, parfois dans la souffrance cachée qui est celle de tout enfantement. Le plus pauvre parmi les pauvres, c’est Jésus, le Fils de Dieu, qui accepte de naître dans une étable et de mourir sur une croix pour être donné à tous, de début à la fin de sa vie terrestre ; c’est aussi le Fils de Marie, qui a compris mieux qu’aucune autre créature ce qu’impliquait ce privilège de mettre au monde le Sauveur.

Et c’est pourquoi Elisabeth s’émerveille et la déclare bienheureuse, c’est à cause de cette visite que Jean tressaille d’allégresse avant même de naître, sentant comme tous les enfants ce qui se passe de grand tout près de lui. Lui qui aura pour tâche de montrer du doigt l’Agneau de Dieu, il reconnaît la source cachée de la joie. Elle sera austère pour lui, une joie du désert qui invite à la conversion, une joie qui invite chacun à s’oublier pour ne plus voir que Celui qui est don total et fidèle ; c’est une joie proposée à tous ceux qui en sont privés et ne savent pas où la trouver, une joie qu’on doit donner quand on ne l’a pas et que Dieu nous donnera goutte à goutte quand on la Lui demande, sans rien en garder pour soi. Joie de la visite de Dieu quand nous visitons tous ceux qui sont orphelins, les présentant à Dieu qui est leur Père surtout quand ils ne le savent pas ou ne l’espèrent plus, déçus par tant de joies factices où l’on s’éclate en se retrouvant en morceaux. C’est au contact de ceux qui vivent de Dieu qu’ils retrouvent le goût de vivre, pressentent comme Jean dans le sein maternel le Soleil de justice et la chaleur de sa tendresse. Et ils comprennent à leur tour qu’ils peuvent la relayer avant même d’avoir tout compris, car c’est un grand bonheur que le Seigneur de l’univers vienne jusqu’à nous et un bonheur de L’accueillir pour qu’Il puisse être présent en ce monde obscur, Lui, la lumière du monde. C’est sans doute ce que pressentent des chrétiens de plus en plus nombreux qui assistent aux Messes Rorate dans beaucoup de paroisses, où la liturgie se passe à la seule lumière des cierges. O viens, Roi des nations, Emmanuel, Lumière de nos cœurs et paix de Dieu !

4ème dimanche de l’Avent C 19 décembre 2021
On bouge beaucoup dans l’évangile, ces temps. On a même souvent l’impression que les gens sont sans cesse sur les routes, ce qui fera sire à Jésus que le Fils de l’homme n’a pas même une pierre où reposer sa tête. Notre terre est certes le domaine du provisoire, mais pourtant, nous aspirons souvent à un peu de stabilité et de calme. Voici donc le récit d’un déplacement de Marie, à pied, bien sûr. Sur la carte, ça fait environ 150 kms, entre campagne et montagne. Pas vraiment indiqué pour une jeune maman qui est enceinte. Mais Elle est en bonne forme, pas habituée à s’écouter, et Elle pense à cette cousine plus âgée qu’Elle. Elle a besoin d’aide et plus encore d’encouragement. Se doutait-elle au départ de ce qu’il adviendrait entre les deux, qui est de l’ordre surnaturel, ô combien. Elle sait Qui elle porte en Elle. Elle est messagère de Dieu, et ce n’est pas une affaire de parole : c’est Dieu en Personne qu’Elle apporte et ça ne peut pas attendre, on s’en doute ! Elisabeth, de son côté, porte en elle le messager du Messie. Lui aussi fera bouger les foules qui se rendront auprès de lui, dans la vallée du Jourdain, lui qui avait quitté son désert parce que sa prédication ne pouvait pas attendre. On ne fait pas attendre Dieu et son amour, et pourtant, si souvent, nous Le laissons en carafe alors qu’il a hâte de nous voir. On s’éloigne périodiquement de Lui, alors, Il se met en route pour venir nous chercher. Et Il le fait tout de suite, pas encore né, mais en route vers sa naissance, parce que ça ne peut pas attendre. Le tressaillement de Jean à son approche dit quelque chose de cette impatience adorante qui correspond secrètement à l’empressement de Dieu qui ne peut pas se passer de nous. Il y a comme un air du Cantique des cantiques qui traverse ces âmes que Dieu habite et qui nous rappelle que notre vie est une histoire d’amour qui ne cesse de nous mettre en mouvement à la rencontre de l’Aimé. Un émerveillement en appelle un autre, c’est une sorte de surenchère de compliments, mais il ne s’agit pas de politesse compassée à l’orientale : c’est comme la mise au jour de réalités merveilleuses qui étaient dans le secret de Dieu et qu’Il veut nous montrer et nous partager.

St Luc accorde une grande importance aux voyages : pour lui, la route est le lieu le plus important de la Révélation. Ce premier voyage de Marie, Mère de Dieu, a ses notes particulières. La première, c’est la hâte : « Réjouie par son désir, zélée par son service, transportée par sa joie », dit St Ambroise. Mais cet empressement n’est pas seulement de venir en aide à une parente âgée : c’est bien plutôt l’Esprit-Saint qui est impatient de laisser jaillir des lèvres d’Elisabeth la première reconnaissance du Messie, et de chanter en réponse le Magnificat. La hâte de Marie est d’ordre missionnaire. Elle inaugure ici le cheminement des apôtres qui porteront aux 4 coins du monde la contemplation des traits du Fils de Dieu. Mais le parcours, la direction, la durée de ce voyage veulent aussi nous dire quelque chose : il y a un parallèle à faire avec ce qui advint à David dans sa quête de l’Arche d’Alliance : comme lui, Marie arrive des hauteurs de Juda ; comme l’Arche, Elle y séjourne 3 mois, après s’être arrêtée dans une maison, et elle est l’occasion de transports d’allégresse et de bénédictions débordantes. Ce qui est exprimé par un mot qui est inconnu dans le grec classique : le mot joie, dans un sens particulièrement intense, qu’on retrouve plus de 90 fois dans le psautier : la joie ressentie en présence de Dieu, là où Il fixe sa résidence, la joie du culte très saint et de la vraie piété, joie du Magnificat en un mot qui est l’un des sommets de l’évangile. La Présence de Dieu si concrète en son Fils et son cousin, le Précurseur, dont Jésus dira : « Abraham a vu ce jour et s’est réjoui. ». Et Lui-même se réjouira en voyant comment l’évangile, la bonne nouvelle, est révélée aux tout-petits. Dès le moment de la Visitation, le fils d’Elisabeth est la figure de ces petits qui viennent à Lui. Son tressaillement est le fruit de l’Esprit-Saint dont Elisabeth est remplie, et il déborde sur les assistants ; il se produit au cours d’une rencontre et dans un dialogue qui insiste sur les diverses parties des corps en présence : oreilles, voix, ventre, parce que la bénédiction et le salut atteignent l’être tout entier. La bénédiction invoquée sur Marie n’est pas seulement louange verbale, mais signe de la présence agissante de Dieu : elle place Celle qui est bénie dans un certain climat qui baigne tous les récits de l’enfance chez St Luc. Nous aussi, bénissons souvent ceux que nous rencontrons, à tout moment, à tout propos, et surtout quand nous avons envie de faire le contraire : ainsi le combat messianique répandra la paix comme un fleuve et Celui qui vient sera accueilli comme Il l’attend et le mérite.

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4ème dimanche de l’Avent C 23 décembre 2018
     L’évangile nous dévoile avec délicatesse ce que furent les sentiments de la Vierge Sainte dans cet étrange voyage qui la mena de Galilée jusqu’à Aïn Karim, près de Jérusalem : une sorte de répétion générale du voyage de Noël qui allait l’amener pas très loin de là, à Bethléem la cité de David. Elle devait être portée par la force de sa jeunesse pour faire seule ce voyage, juste pour rendre service à cette parente agée, qui est, elle, aussi novice que sa jeune cousine, puisque l’enfant qu’elles attendent sera le premier et l’unique. Mais il semble bien que le but du voyage, dans les plans de Dieu, ait été assez différent. Dans cette affaire, il y a d’abord beaucoup de silence, de contemplation, où le regard a caressé les paysages traversés, médité sur ce qui l’a menée là, prié pour des intentions qui embrassent le monde et l’histoire tout entière. Elle le sait : Elle porte en Elle le Verbe de Dieu. Elle est missionnaire comme jamais personne ne pourra l’être en cette intensité. Comme un jour, à la croix, Elle sera à Elle seule toute l’Eglise qui prie, qui offre et qui espère, Elle est ici celle qui prépare les cœurs à l’accueil de Dieu et à la louange, lui donnant ce modèle insurpassable, le plus cristallin qui soit jamais sorti d’un cœur humain et que Dieu nous fait l’honneur de mettre sur nos lèvres, chaque soir, à la fin des vêpres. Nous avons la grâce insigne de pouvoir, nous aussi, nous porter à sa rencontre, Le visiter quand personne ne pense à Lui, Le servir dans nos proches lorsqu’ils ont besoin de nous et n’osent pas nous le dire. Marie est messagère, porteuse de Dieu, comme Elisabeth est porteuse du premier messager du Messie. Lorsqu’il nous prend de vouloir faire un peu de bien, qui que nous soyons, il est évident, il est sûr que tout commence par la présence de Dieu au plus profond de nous, car Lui seul est l’amour, Lui seul peut nous enseigner l’amour digne de ce nom. C’est Lui qui doit grandir en nous, et nous diminuer. Nous prenons toujours trop de place, même dans nos meilleurs projets. Où cela peut-il nous conduire ? Que savait Marie, à ce moment-là, de sa trajectoire de vie ? Avait-Elle des projets précis ? J’aime à imaginer qu’Elle ne pensait qu’à être à chaque pas ce que Dieu voulait par les événements, y voyant concrètement sa volonté adorable, et sachant que si Elle disait oui, Il ferait de toutes manières par Elle des merveilles. Lesquelles ? Là encore, Elle ne faisait aucun plan, n’avait aucun désir précis. Elle les découvrait au fil des heures et des jours, dans cet émerveillement du Magnificat qui ne cessera sur cette terre qu’à la fin du monde et se dilatera pour toujours dans le ciel.

     C’est une sorte de liminaire de l’évangile que la salutation d’Elisabeth : « Bienheureuse, toi qui as cru ! » Oh oui, personne n’a jamais cru aussi bien, aussi totalement, aussi purement ! Dieu veut se faire homme pour apporter à l’homme le bonheur, et la porte de ce bonheur, c’est la foi, l’ouverture à ce que Dieu veut et qui sera bien, puisque ça vient de Lui. L’évangéliste St Luc a coulé son récit de la Visitation dans plusieurs allusions claires au transfert de l’arche d’Alliance à Jérusalem par le roi David. Elisabeth reprend presque mot pour mot l’exclamation de David, bouleversé par la présence de Dieu dans sa ville et sa maison. : « Comment l’arche du Seigneur pourrait-elle venir chez moi ? » Or, Marie est l’arche d’Alliance qui porte Dieu en Elle, comme le chantent les litanies de la Vierge. C’est l’Esprit-Saint qui guide ces deux femmes et les fait tressaillir d’allégresse avec leurs deux enfants : quelle explosion de joie en ce coin perdu de la montagne ! Car si la scène de la Visitation reproduit symboliquement le transfert de l’Arche d’Alliance dans l’Ancien Testament, et elle annonce tout aussi symboliquement l’effusion de l’Esprit à la Pentecôte. Marie a présidé à la naissance dans la chair du Verbe de Dieu, et Elle présidera à la naissance de son Corps Mystique, l’Eglise. L’Esprit se signale toujours par ces transports de joie qui sont le prolongement de la louange, dans la reconnaissance pour les dons de Dieu. C’est dans cette exultation que nous entrons dans le mystère ineffable de l’Emmanuel, Dieu-avec-nous : gardons-là au cœur comme une lumière plus forte que toutes les ténèbres qui nous entourent. N’oublions jamais que la plus petite lumière fait échec aux ténèbres si nous la tenons allumée.

***** Antiennes O ***** du 17 au 23 décembre

Antiennes O 17 au 23 décembre 2024

17 décembre : O Sapientia ! 

L’émerveillement et le tressaillement à l’approche de l’indicible sont la marque de l’octave qui précède les solennités de la Nativité. Cette attitude spirituelle culmine dans les « antiennes O » que nous chantons chaque soir à la fin des vêpres et qui sont reprises comme verset de l’Alleluia à la Messe. « O Sagesse qui sort de la bouche du Très-Haut, qui couvre l’univers d’un bout à l’autre… » Rien n’échappe, en vérité, à cette sagesse qui gouverne toutes choses ; elle compose avec les folies des hommes, les forces de la nature, les résistances et les misères du cœur humain, à l’image de la généalogie du Sauveur qui nous trace les méandres de son enracinement terrestre, peu reluisant, en vérité. Cette action mystérieuse de l’Esprit Saint –c’est par la Sagesse qu’Il est le plus souvent désigné dans l’Ancien Testament- est à la fois forte et douce (fortiter et suaviter) elle sait vaincre les résistances, mais ne le fait pas avant d’avoir épuisé toutes les ressources de la douceur et de la persuasion ; elle s’adapte à chacun des acteurs du drame humain, les invite à donner le meilleur d’eux-mêmes et à reconnaître son dessein miséricordieux ; cette finesse qui guide l’action morale s’appelle la prudence. C’est elle, au final, qui règle toutes les autres vertus, qui les dose à bon escient, selon les manques et les forces de chacun. Pour que le Verbe incarné puisse être accueilli dans les âmes, c’est donc elle que nous demandons aujourd’hui : « Veni ad docendum nos viam prudentiae ! » Ainsi, nous deviendrons de bons collaborateurs de la grâce, en sachant utiliser au mieux toutes les ressources de notre être incarné, soulevé par la proximité du Verbe et le souffle de l’Esprit, à la gloire du Père éternel.

 

18 décembre : O Adonai ! 

Toute l’histoire du peuple saint aboutit au Messie, « le Seigneur sauve », car c’est Lui qui sauvera son peuple de ses péchés. Le Dieu tout-puissant, qui conduit la Maison d’Israël est Celui qui se révèle à Moyse au buisson ardent, et le libérateur de l’esclavage d’Egypte l’approche avec crainte et tremblement, et plus encore au Sinaï, lors du don de la Loi. Une antienne du 1er janvier verra dans le buisson qui brûle sans se consumer une allégorie de la Vierge Immaculée, Mère du Dieu sans perdre sa virginité. Tout a un sens profond et caché quand Dieu se révèle, et plus encore lorsque Dieu se fait Emmanuel, Dieu avec nous. Le personnage central de l’évangile, aujourd’hui, est St Joseph, qui commence par exercer la prudence, se retirant devant un mystère trop grand, puis se rendant aux arguments de l’ange qui lui dévoile une sagesse plus haute. Dans un grand élan théologal d’espérance et d’amour, il acquiesce sans mot dire et accueille sous son toit Celle qui est déjà son épouse. Le germe juste dont parle le prophète est désormais semé dans une terre fertile, dans le secret des grandes âmes, loin du regard des hommes qui n’y comprennent rien. Tout nous invite ici au regard intérieur des choses, qui seul peut nous faire percevoir la cohérence d’événements incompréhensibles, où le terrestre et l’humain se mêlent au divin, où le surnaturel est reçu le plus naturellement du monde. Dieu fait partie de notre monde, non seulement à cause de son origine et der la création, parce qu’Il tient tout en sa main, mais parce qu’Il se mêle intimement à tout ce que nous vivons pour que le salut soit offert à tous ceux qui veulent bien le recevoir. Ne quittons pas la sienne, puisqu’Il est toujours prêt à nous sauver à bras étendu.

 

19 décembre : O Rex gentium !

« Tu vas concevoir et enfanter un fils ! » : annonce inespérée pour ces deux mères stériles, qui ont porté jusque là « ce qui faisait leur honte aux yeux des hommes ». Quoi de plus banal, serions-nous tentés de dire, qu’un enfant qui vient au monde ? Nous savons hélas plus qu’en d’autres temps que c’est pourtant loin d’aller de soi, et aujourd’hui en plus à cause de beaucoup d’égoïsme et d’irresponsabilité. Le signe merveilleux de la Vierge qui enfante n’en prend que plus de relief : non seulement chaque naissance est un miracle, car elle amplifie la création d’une âme immortelle et d’une destinée terrestre, mais que dire lorsqu’il s’agit de Dieu Lui-même ? La puissance de Dieu exaltée par les 2 premières antiennes O prend aujourd’hui une forme nouvelle et étonnante : sa gloire ne se manifeste pas seulement par des éclats, du tonnerre et des éclairs, mais dans le dénuement de la crèche et la faiblesse d’un Enfant. C’est même la principale spécificité de la foi chrétienne : difficile d’imaginer un Dieu qui renonce aussi facilement à sa force ! Car il nous est bien difficile d’en faire autant, même avec nos forces de fourmis : quand on a le couteau par le manche, il est quasi impossible de ne pas en profiter…

Dieu qui est l’Amour substantiel est donc infiniment fragile et vulnérable. Si souvent, nous qui sommes les héritiers de 2000 ans de christianisme, nous espérons qu’Il se manifeste encore à la manière de l’Ancien Testament. J’ai connu un confrère qui disait : « Si seulement Dieu consentait de ne pas exister pendant 10 minutes, quelle débarrassée on ferait ! » Or, nos faiblesses et nos fragilités nous rapprochent de l’Enfant-Dieu, quand nous les acceptons en souriant. Les vraies victoires ne sont pas celles qui écrasent, mais celles qui préservent et qui protègent les dons de Dieu. Qu’Il nous apprenne à son contact la douceur et la délicatesse, en renonçant à toute volonté de domination et de puissance indue, pour que le Christ puisse être encore enfanté en ce monde qui croit pouvoir se passer de Lui.

 

20 décembre : O Clavis David ! 

«  Voici que la Vierge concevra… » C’est donc aujourd’hui que s’accomplissent les promesses de Dieu. L’évangile de l’Annonciation – Missus est, qui vaut à la tradition monastique tant de commentaires admirables prêchés au chapitre l’un des jours les plus solennels de l’année- est certainement le sommet de ces jours d’attente ardente. Enfin, les captifs du pays de l’ombre voient pointer l’aurore de leur délivrance. On pense aux icônes qui montrent l’enfer qui vole en éclats au pieds du Christ sortant du tombeau, et l’image des clefs n’est pas sans évoquer l’Eglise et le pouvoir apostolique d’ouvrir et de fermer la porte du ciel, ou encore le livre aux 7 sceaux de l’Apocalypse que personne ne peut ouvrir sinon Celui qui est Lui-même la clef, Serviteur du Père et sceptre de sa puissance de miséricorde. Mais pour l’heure, Marie est la porte par laquelle Il va entrer dans le monde, et Lui seul peut s’en servir sans briser sa virginité. C’est sur Elle que se concentrent avec reconnaissance les feux de la rampe, petite servante duTrès-Haut, sans qui rien n’aurait été possible, selon ce joli dialogue où l’ange demande à Dieu : « Et si Elle dit non ? Avez-vous un autre plan ? »  « Non, dit Dieu, Je n’ai pas d’autre plan ! » Insondable don du fiat, prononcé en toute lucidité et prudence conjuguées, que chante St Bernard dans un de ses plus beaux sermons « Super Missus est », où l’ange Gabriel représente à la Vierge très Sainte toutes les raisons de répondre à l’invitation divine. Elle n’a pas fatigué son Dieu, Elle ne se permet pas de Le faire attendre, Elle nous presse d’en faire autant : ne tardons pas et pressons-nous de nous glisser dans le sillage de ce fiat éternel, qu’Elle redit fidèlement jusqu’à la gloire des cieux.

 

21 décembre : O Oriens !

Si l’austérité de l’Avent est tempérée par la joie, on peut dire qu’elle s’intensifie à mesure qu’on s’approche de l’heureux événement de Noël. La raison de cette joie, c’est la lumière qui jaillit au milieu de l’hiver de ce monde. Elle est à la fois attendue contre toute espérance et une surprise dont nous n’avons pas encore pris la mesure. Nous contemplons ce jaillissement dans la visite de cette jeune maman à sa cousine âgée, qui est l’occasion non seulement d’un dévouement bienvenu et du partage des tâches du foyer, plus lourdes quand l’âge est là, mais du tressaillement des deux enfants qui se devinent et se reconnaissent alors qu’ils ne sont pas encore nés. Qui est donc ce Dieu qui vient jusqu’à nous, comme il vient par sa Mère accomplir les promesses des prophètes et réchauffer les cœurs meurtris, prostrés au pays des ténèbres et de l’ombre de mort que nous ne connaissos hélas que trop? Nous ne pouvons que désirer ces visites du Verbe dont notre père St Bernard s’est fait le chantre incomparable, que chacun peut expérimenter à sa mesure, mais qui viennent seulement quand Dieu le veut et souvent de manière totalement inattendue. Cette heureuse surprise peut alors réjouir les cœurs désencombrés, livrés au seul bon vouloir de cet Enfant qui nous enseigne l’abandon entre les mains du Père dès avant sa naissance.

 

22 décembre : O Rex gentium !

Le désir le plus profond du cœur de l’homme, dans toutes les situations, c’est le bonheur. Dans cette quête qui nous suit du berceau à la tombe, nous sommes la proie de multiples illusions et le péché déforme en nous jusqu’à l’image de Dieu qui nous a créés pour cela. C’est le spectacle de notre malheur qui décide le Père d’envoyer son Fils pour sauver l’homme façonné d’argile, si fragile et si grand à ses yeux. Il est juste d’appeler le Christ Roi des nations, car Il est au fond de tous les désirs, si dévoyés soient-ils. Ce que chacun appelle de ses vœux les plus intimes, souvent sans le savoir, c’est Lui, qui est au centre de l’histoire, seul capable d’unir les hommes dans son amour. Ce que chante la Vierge sainte dans son Magnificat, le plus sublime poème de louange jailli d’un cœur créé, c’est ce Dieu infiniment grand qui se penche avec ravissement sur l’infiniment petit, qui se fait Lui-même si petit qu’il ne rebute aucun de ses enfants. Personne qui ne soit digne de Le recevoir, non à cause de sa valeur propre, mais parce que c’est son désir à Lui. Le drame, c’est que nous sommes toujours trop grands, infatués centrés sur nous-mêmes, de ces « gros pleins d’être », comme les appelle Sartre dans un sarcasme philosophique. L’inverse, c’est comme cette petite fille qui tentait d’expliquer à son papa une chose qui pour elle était simple et évidente, et qui, à bout de ressources devant cet adulte qui n’arrivait pas à comprendre, lui dit : « Bon, eh bien, ça fait rien : tu comprendras quand tu sera plus petit ! » Voilà en effet ce que nous dit la petite servante du Seigneur et ces âmes innombrables qui l’ont compris.

 

23 décembre  O Emmanuel !

L’octave de préparation à Noël, marquée par les grandes antiennes O que l’on chante chaque jour au Magnificat de vêpres et comme verset de l’Alleluia de la Messe, dessine une progression dans la compréhension du Messie, annoncé par les prophètes. Il est le désiré des nations, qui en général ne le savent pas, sinon comme une aspiration plus ou moins vague à la paix et au bonheur qu’elles peinent à réaliser. Plus l’écart se creuse entre la recherche d’un bien-être matériel qu’on identifie au bonheur et l’amour gratuit de Dieu qui seul peut combler les aspirations les plus secrètes de l’être humain, plus devient urgent l’appel à reconnaître l’Emmanuel, Dieu-avec-nous, cet Enfant fragile de la crèche qui fait mystérieusement barrage à toutes les volontés de puissance qui s’exercent au dépens des plus faibles. « Veni, ô viens ! » c’est la prière qui conclut chaque antienne et qui se fait aujourd’hui plus pressante. Il n’y a qu’une seule chose à demander, c’est qu’Il soit avec nous, que nous restions dans sa main, que nous glissions patiemment notre pauvre volonté dans la sienne, et que sa lumière et sa paix se diffusent comme une lueur dans la nuit. Alors sa venue dans le temps de Bethléem n’aura pas été inutile : elle se multiplie à l’infini des cœurs accueillants qui croient que sa venue, c’est aujourd’hui pour moi.

Antiennes O du 18 au 23 décembre 2023

Le 17 décembre 2023 est le 3e dimanche de l’année B : l’homélie remplace la méditation sur les antiennes O.

18 décembre 2023 Adonaï
Le Nom de Dieu, c’est Lui-même, c’est sa Personne, par lequel Il se désigne Lui-même. Mais comme il est absolument transcendant, on ne peut le prononcer en connaissance de cause : dans la lecture publique de l’Ecriture Sainte, le tétragramme que nous rendons par Yahvé est remplacé par Elohim ou plutôt par Adonaï, mon Seigneur. On le donne à un personnage important qui a autorité souveraine sur des subalternes. Mais le « mon » a une nuance d’intimité et de respect, de relation affectueuse et de soutien paternel. Après l’évocation de la création dans l’antienne d’hier, c’est Moyse qui est mis en scène aujourd’hui, avec la révélation de Dieu au buisson ardent et le don de la Loi au Sinaï. Le Messie attendu réalise les promesses depuis les origines, c’est Lui qui était en vue quand dieu intervenait dans l’histoire de ce peuple qu’il avait choisi par pure grâce et même parce qu’il semblait particulièrement indigne de son choix. Tout l’Ancien Testament est donc passé en revue, rien que pour nous rappeler que Dieu a de la suite dans les idées, et qu’il n’y a pas de raison qu’Il cesse d’en avoir. Puissions-nous toujours relire notre vie dans cette perspective.

19 décembre 2023 O Radix Jesse
En faisant un pas de plus dans l’histoire d’Israël, le personnage un peu obscur de Jessé est tiré de l’ombre. On sait l’importance des généalogies pour l’Orient ancien : le premier maillon de la descendance de Jésus est ainsi nommé par le premier de la lignée de David, son fils qui deviendra le plus célèbre. On passe de la campagne à la cour royale. Le nom de Jessé, phonétiquement proche de celui de Jésus, signifie : homme de Dieu (Yahvé). Pourquoi est-il un signe levé sur les nations ? Peut-être par cette origine plus que modeste qui marque le choix de Dieu. Il aime à choisir de pauvres intermédiaires, pour qu’on ne confonde pas la source avec le robinet. Bethléem, petite bourgade insignifiante à une encablure de Jérusalem, sera ainsi tout naturellement le lieu de naissance du Roi-Messie. Demeurons attentifs à ce qui est petit, modeste, discret : ce sont les signes les moins équivoques de la présence et de l’action de Dieu parmi les hommes.

20 décembre 2023 O Clavis David
On aurait pu, en étant fidèle aux livres historiques, parler plutôt de sceptre de David, plus évocatrice de la royauté.  Pourquoi la clef ? Le monde ressemble, pour tant de pauvres êtres, comme une sombre prison. Mais la plus obscure des prisons peut devenir sinon un paradis, du moins un lieu où l’on est pleinement heureux, parce que Quelqu’un nous ouvre une porte dans le cœur qui donne accès au sien. C’était Ettty Hillesum, cette déportée de Westerbok, qui mourut à Auschwitz, qui avait fait une ascension spirituelle impressionnante, qui disait : « Quand on a une vie spirituelle, peu importe de quel côté des barbelés on se trouve. » La clef du paradis, Il s’en est servi sur la croix pour introduire dans sa joie le Bon Larron, c’est sa croix qui est la clef, elle lui a été donnée par son Père dans le berceau. Elle ne sert pas tant à fermer qu’à ouvrir. Mais il faut se rappeler que la porte s’ouvre contre nous, alors que souvent, nous la poussons dans le faux sens, car c’est Lui qui veut entrer. Et c’est Lui qui a la clef de son côté, car Il veut faire en nous sa demeure. Qu’Il nous fasse la grâce de ne pas rester enfermés dans notre petit moi.

21 décembre 2023 O Oriens
Tout comme hier, c’est le Cantique de Zacharie qui est à l’origine de l’Antienne O de ce jour.      C’est presque mot à mot que l’antienne d’aujourd’hui reprend le dernier verset du Benedictus, le cantique de Zacharie, que nous entendions il y a peu. Le Christ est le vrai soleil levant qui vient nous visiter. Il détermine l’orientation de nos églises (le mot lui-même signifie : être tourné vers l’Orient), et normalement celle de la liturgie, qui est essentiellement un mouvement vers Dieu, révélé en Jésus-Christ. Nous sommes habituellement, à moins d’une pathologie destructrice, attirés vers la lumière, même si elle nous éblouit. Et nous savons que nous ne pouvons pas en être privés trop longtemps sans dommage notable pour notre intégrité.

Nous voici entièrement tournés, orientés, vers la Lumière qui vient, le Soleil de justice qui se lève sur ceux qui gisent dans l’ombre de la mort. Par le personnage de Jean, nous savons la valeur de la justice des hommes : mais il y a une justice supérieure qui, au final, redressera tous les mensonges, les condamnations d’innocents, et ouvrira les cachots intérieurs où tant de pauvres ont été jetés. L’épître et l’évangile sont remplis de cette joie lumineuse et communicative. Tout n’y parle que de bonheur, de tressaillement, d’accomplissement, et pourtant tout n’est qu’en germe encore. Le Bien-aimé du Cantique n’est autre que le Christ qui vient à la rencontre de Jean, et à travers lui, de toute l’humanité qui peine et qui espère. Soyons attentifs et accueillants à tous ceux qui passent le seuil de notre maison et disons-leur : « Comment ai-je ce bonheur de voir arriver l’enfant du Seigneur ? »

22 décembre 2023 O Rex gentium
Le Roi Messie n’est pas seulement le libérateur de son peuple, comme au temps de l’Exode. Ce que Dieu a fait pour Israël n’est que l’exemplaire de ce qu’Il veut faire pour toute l’humanité. Les prophètes avaient déjà entrevu l’élargissement des perspectives historiques, au grand dam des nationalistes qui ne voulaient rien partager de leurs privilèges. Dès la Pentecôte, les apôtres se hâtèrent de partir à la conquête du monde. A l’homme pétri de la terre, Dieu promet dès la chute de le sauver : c’est ce qu’on appelle le protévangile, la première annonce du salut. L’Enfant de la crèche vient donc mettre le point final au projet éternel de Dieu, Il est l’Alpha et l’Omega, le point central de l’histoire du monde qui montre que quand Dieu parle, il agit en même temps et que sa Parole éternelle résonne tout autant que son action se manifeste. Nous sommes pétris de terre, mais soulevés par la grâce si nous voulons bien Le laisser agir et sauver. Demandons cette grâce pour tous les hommes, puisqu’aucun n’est excepté de son dessein d’amour.

23 décembre 2023 O Emmanuel
Celui qui est Emmanuel, Dieu-avec-nous, est aussi désigné comme Roi et Législateur : être Roi, dans la conscience universelle de l’humanité, n’est pas tant de dominer que de pourvoir au bien d’un peuple. Les lois promulguées par une autorité légitime ont pour but de maintenir l’ordre et la cohésion d’une société, en respectant les droits des personnes et des collectivités. La raison donnée par Dieu en créant l’homme préside à ces sages dispositions. Ce n’est que lorsque cette raison n’est plus illuminée par une instance supérieure, comme l’a rappelé le Pape Benoît XVI lors de sa visite au Bundestag de Berlin, qu’elle risque de faillir à sa mission. Ainsi est sauvegardé. Ce n’est pas la Révélation qui est la source directe du droit et du pouvoir politique, qui gardent ainsi l’autonomie de leur domaine propre, mais c’est un grave dommage pour tous si on refuse d’emblée de se laisser inspirer par plus haut que soi. Pascal disait : « Il est déraisonnable de croire que rien ne dépasse la raison. » Que le divin Roi et Législateur continue d’apporter secrètement sa lumière à tous ceux qui ont en charge la chose publique.

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Antiennes O 17 au 23 décembre 2018
17 décembre : O Sapientia. Les 7 derniers jours avant Noël sont marqués par la série des Antiennes du Magnificat des vêpres, reprises comme versert à l’alleluia de la Messe du même  jour. Elles commencent par ce O de l’étonnement, de l’admiration, de l’émerveillement : c’est comme un résumé de la prière de louange pour l’œuvre de Dieu dont le sommet est l’Incarnation. Elles sont construites sur le même plan et chantées avec la même mélodie du IIème ton, qui est le ton modeste et discret de l’introït de la Messe de minuit. On invoque le Seigneur qui vient , en Le désignant sous des symboles ou par un de ses titres ; ensuite, ce symbole est développé par un de ses effets, et le point culminant est une supplication introduite par l’impératif « viens, veni ». Ces antiennes sont comme le résumé des prophéties sur le Sauveur. On y passe en revue l’ardente imploration de tout l’Ancien Testament et du monde païen en attente du Sauveur. Celle d’aujourd’hui, la première, parle du Verbe, qui est à l’origine de la création, désigné sous le nom de Sagesse. C’est le Verbe éternel au sein de la Trinité qui préside, dès avant le temps, à l’œuvre créée qu’il continue de soutenir. Il attend de nous une œuvre de prudence, qui règle tous nos actes selon la force et la suavité qui Lui appartiennent en propre. Un peu comme le prologue de St Jean que nous entendrons le jour de Noël, on commence dans le sein de la Trinité pour aboutir aux âmes qui sont sa demeure sur la terre. Qu’Il vienne pour nous guider jusqu’au trône de la Sagesse en accueillant son Esprit.

18 décembre. O Adonaï. Après l’évocation de la création dans l’antienne O d’hier, et de la sagesse qui continue de la gouverner, c’est un épisode majeur de la révélation qui est rappelé dans celle d’aujourd’hui : le buisson ardent qui manifeste clairement ce Dieu qui est aussi le Dieu de l’alliance –ce que signifie le nom d’Adonaï, qui remplace dans la lecture le Nom de Dieu, Yahvé, imprononçable pour un juif pieux- avec le don de la Loi au Sinaï. Ce sont les deux manifestations de Dieu qui sont ici seules à être évoquées, mais aussi, toute la spiritualité du désert, comme lieu de la révélation de Dieu, de sa sainteté et des exigences morales qui en découlent. Moyse est le législateur d’Israël, mais l’Alliance avait déjà été conclue avec Noé, Abraham, Isaac et Jacob. Dieu guide son peuple à travers l’histoire, ce qui est aussi une révélation qui montre que l’homme n’est pas soumis à une fatalité qui se répète sans issue, mais à un devenir avec Dieu qui l’aime. En dehors du judaïsme et du christianisme, la conception de la vie est le plus souvent cyclique, alors que pour nous elle est linéaire : nous venons de Dieu et nous allons à Dieu, ce qui est le fondement de l’espérance vraie. La prière finale nous met devant les yeux deux figures de la lumière de Noël qui vient : la délivrance d’Egypte, qui est elle-même image de celle du joug du péché et du démon. Que le Christ Sauveur achève de nous libérer de tous les esclavages qui nous entravent sur la route du salut.

19 décembre. O Radix Jesse. En faisant un nouveau saut dans le temps et l’histoire du salut, nous voici à un moment décisif des Rois de Juda, puisque les généalogies du Christ nous disent qu’Il est fils de David, de lignée royale. L’antienne s’inspire de deux passages d’Isaïe sur la racine de Jessé, père de David. St Jérôme commentant ces passages précise que les juifs identifiaient le rameau au Messie, sous le symbole du sceptre. Les chrétiens, eux, ont compris que le rameau, c’est la Vierge Marie et la fleur le Christ Sauveur. Ce sont aussi les perspectives d’un salut universel entrevu par le prophète qui sont affirmées ici : la libération promise n’est pas seulement celle d’un petit peuple insignifiant au plan politique, elle concerne tous les peuples et tous les hommes de tous les temps. Le signe de cet Enfant est donc sujet d’étonnement et d’admiration silencieuse pour tous ceux qui le comprennent déjà. Les Rois, prémices des nations, fléchiront les genoux à la crèche et notre adoration reconnaît à leur suite le Roi des Rois dans le Fils de David, né à Bethléem comme lui. L’adoration et la reconnaissance hâtent le moment béni où tous se prosterneront devant Lui en rendant grâces pour le salut qu’Il nous offre.

20 décembre. O Clavis David. En ce jour où l’évangile est celui de l’Annonciation et son annonce dans les prophéties d’Isaïe –« Voici que la Vierge concevra »- c’est le symbole de la clef qui est proposé à notre méditation. On pense bien sûr à ces clefs que le Sauveur Jésus remettra à St Pierre, qu’Il institue comme intendant des mystères de son Eglise, mais plus profondément, c’est Lui qui est la clef de tous les mystères révélés peu à peu dans l’Ancien Testament. Les juifs appelaient bouclier ou clef de David l’hexagone, l’étoile juive tristement célèbre dans l’histoire récente, qui est peut-être en ce sens même le symbole de la vulnérabilité de l’amour ; ils y voyaient le signe du Messie à venir, l’étoile de Balaam et celle des mages. L’antienne O de ce jour est au milieu des 7, comme le Christ est au milieu du temps dans son incarnation, partageant l’histoire en deux ; Il est vraiment la clef de la compréhension de l’Ecriture et de toutes choses, car sans Lui, on peine à trouver un sens au monde et à la vie. Prions aussi pour que les juifs puissent aller jusqu’à la reconnaissance du Messie qui est déjà venu et qui reviendra. Prenons dans notre prière tous ceux qui ne savent pas quel but donner à leur vie, et que sa lumière les établisse dans la seule paix véritable qui vient de Lui seul.

21 décembre. O Oriens. Après des événements importants de l’histoire du salut, nous revenons à l’ordre naturel, parce que là aussi, le Créateur s’est ménagé un symbole : le soleil. Il joue dans la vie terrestre un rôle essentiel, et marque la psychologie humaine de manière décisive. C’est un symbole utilisé abondamment par l’Ecriture Sainte et la liturgie, et c’est sans doute la manière la plus heureuse de caractériser le cycle de Noël, qui est l’arrivée de la lumière au moment où l’hiver est à son point le plus bas et le plus obscur. L’humanité est décrite comme prostrée dans l’ombre de la mort, et elle attend Celui qui la délivrera. La liturgie chrétienne est orientée géographiquement non vers Jérusalem, mais vers le soleil qui se lève à l’Est : nous sommes toujours en attente de résurrection ! Le cantique de Zacharie, qui achève l’office des Laudes, salue le Christ comme le soleil levant qui vient chaque matin nous visiter. Ses entrailles de miséricorde relèvent tous ceux qui sont abattus et se confient en Lui. Rappelons-nous que nous sommes fils de la lumière et qu’Il nous envoie la répandre partout où elle manque.

22 décembre et 23 décembre. O Rex gentium. Celui que les nations attendent sans le savoir, c’est le Christ. Toutes aspirent plus que jamais à la liberté, et il ne leur est le plus souvent proposé qu’un asservissement en flattant leurs instincts les moins nobles. L’histoire d’Israël est comme le modèle de celle du monde : la paix impossible, l’entente au-delà des nationalismes, la justice et l’harmonie des cultures, tout cela ne peut advenir que dans l’accueil de la Loi divine et de Celui qui en est la source et le garant. La pierre angulaire sera rejetée par les bâtisseurs, mais c’est en vérité, pour l’éternité, la pierre d’angle choisie par le Père. Jusqu’au meilleurs membres du paganisme, il a inspiré le désir de sa venue, et il y a partout et de tous temps des âmes de bonne volonté qui L’écoutent, même parfois sans Le reconnaître explicitement : « Tout homme qui est de la vérité entend ma voix. » C’est pourquoi nous chanterons demain qu’Il est l’Emmanuel, Dieu avec nous, le vrai Roi et le législateur universel. Avec l’initiale de la dernière antienne O Emmanuel, nous pouvons lire à l’envers : Ero cras, demain je serai. Le Sauveur qui naît à Bethléem ne cesse de venir à nous et de renaître pour nous : puissions-nous L’accueillir dans un cœur aimant et adorant.